Souvenirs d'Autun

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Souvenirs d’Autun

J’ai quitté Autun quand j’avais à peine dix-huit ans. Les souvenirs que j’ai gardés de ces années d’apprentissage ne peuvent guère prétendre célébrer cette belle ville et son beau pays. Des fragments d’une petite histoire à l’abandon.

Mon souvenir le plus pur demeure celui d’avoir eu au collège un rival pour la première place de français. Le merveilleux c’était notre amitié, car chacun se réjouissait de la victoire de l’autre. Je l’estimais beaucoup plus fort que moi et plus digne d’éloges, mais il était toujours charmé de me voir réussir. Il avait déjà décidé (hélas il est mort à dix-neuf ou vingt ans) de faire une carrière d’écrivain, tandis que moi-même je n’osais y songer. Pour en venir à ceci que je n’écrivais guère en dehors des dissertations, faites la plupart du temps sans le moindre brouillon, et que je n’avais d’autre idée que de rôder n’importe où aux heures de liberté et à celles qu’on se procurait en évitant de se rendre au collège.

N’importe où. Simplement pour s’emplir les yeux de spectacles divers. Avec ce camarade rival nous allions faire des fouilles au bas du théâtre ancien dans les égouts romains alors libres d’accès. Nous nous éblouissions à des fragments de poteries samiennes qui révélaient des feuillages ou des membres de personnages, sans compter les fibules cassées, les défenses de sanglier et toutes sortes de misérables débris. Pour nous, pas tellement amateurs de latin, Autun était la ville romaine par excellence.

Mais, avec d’autres amis, c’étaient des explorations dans un tout autre sens. J’ai appris parfois mon histoire pour le bac dans la plus haute fourche d’un châtaignier, sur la route au-delà du Parc. J’ai lu peut-être Gorki, Loti ou Upton Sinclair ou Corneille en haut d’une cheminée des Telots alors en construction et à laquelle ne manquait que la couronne. Nous avions la rage de traîner dans les champs. Nous avons fait un devoir de mathématiques dans un fossé, près de l’Arroux, alors qu’il gelait de façon raisonnable et un jour porté très loin un dictionnaire de latin pour tenter de réduire à merci quelque version, dans les prés fleuris d’orchidées. D’ailleurs, aucune intention poétique. Nous avions surtout la manie de prendre la vie et l’espace en travers. Les forêts de Planoise et de la montagne Saint-Claude se prolongeant aux environs de Montjeu, nous les avons connues en filant au hasard par les sentiers ou simplement à travers les arbres. D’inattendues perspectives. Comment était-on arrivé ce jour-là en haut de la carrière de Couhard, ou sur le bord de 1’étang de Montjeu, dans ce domaine où nous entrions en gravissant le haut mur loin de la grille d’entrée, qui était ouverte à tout venant ?

Pendant trois années, nous n’avons pas passé un jour du premier mai au premier octobre sans nager dans l’Arroux ou le Ternin. L’hiver, c’était la neige, les chevreuils égarés, les belles eaux gelées, une ou deux baignades un peu forcées pour avoir patiné sottement au milieu de la rivière.

Et que reste-t-il qui appartienne vraiment à ce pays d’Autun ? Dans mes souvenirs, ce sont surtout les pierres dont un camarade connaissait les noms, et qu’il m’apprit à ramasser. Silex, quartz, granites étaient monnaie courante, mais il y eut ces cristaux d’améthyste dans les pierres au bord d’une route, ces micas de la carrière des Revirets, ce magnifique caillou d’un bleu noir découvert au haut des faubourgs. Si bien que les années d’Autun me rappellent surtout la présence de ce qui ressort de la terre et qui illumine la terre et le temps. Après les splendeurs romaines, les lumineux minéraux.

On est sûr que tout vestige disparaît finalement, que les années sont éphémères, surtout vues de loin, et il semble qu’à une ville comme Autun l’enfance s’enchante d’arracher les éclats d’une véritable éternité.

André Dhôtel

Texte paru dans Nivernais-Morvan, printemps 1975,

repris dans le Bulletin de " La route inconnue " n°3.