Association des Amis d'André Dhôtel
C'est en 1975 que j'ai découvert André Dhôtel, en lisant Le Train du Matin...
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« Dès qu’il se mit à marcher le long des rails, la voie lui apparut toute rayonnante. Les rails reflétaient invraisemblablement
le ciel bleu. Ils se perdaient dans un lointain rectiligne. Les talus étaient semés de fleurs intactes, coquelicots, linaires
et vipérines, dont il avait appris les noms à l’école, mais qui semblaient étrangères à tous les noms, tellement elles étaient
pures. Le soleil inondait les cailloux du ballast qui brûlaient malgré la fraîcheur du vent léger. Gabriel oubliait tout. Les
maisons de Bermes, pas très loin, défilaient tandis qu’il avançait, et il les croyait à cent lieues. »
p 35
« Ce matin-là le soleil s’était voilé, et une sorte de brume s’étendait sur la plaine. Il tombait de loin en loin des
gouttes d’eau très fines. C’était la conséquence d’un changement de lune, prétendait-on.
Les rails étaient brillants d’humidité, et les pierres du ballast prenaient de nouvelles couleurs. A mesure
que Gabriel s’avançait il lui semblait, comme d’habitude, que c’était sur cette voie qu’une scène essentielle
allait se jouer. Il arriva vers la tranchée, non loin de l’endroit où le verger d’Ida Codoulort dominait le talus.
Pour lui il n’était pas question d’Ida, ni des bijoux, ni d’aucune autre affaire, ni même de Jeanne. P
ar cette belle et incertaine matinée, il s’agissait d’autre chose, de quelque aventure située dans un autre
temps et dans un autre espace. Entre les fleurs roses, les rails se perdaient dans une campagne renouvelée.
Les nuages s’entrouvrirent bientôt d’ailleurs, et une lune blanche apparut à l’angle d’un pan d’azur, alors
que le soleil demeurait masqué. Rien n’existe, en vérité, se disait Gabriel, que ce qui apparaît ici ou là. »
pp 77-78